Je naquis à Argenteuil-sur-Seine, en région parisienne, dans une famille de peintres en bâtiment également peintres amateurs. Alors que j'avais huit ans, mes parents s'installèrent au Havre : tout en poursuivant mes études au lycée, je fréquentai l'école des beaux-arts de la ville, où je rencontrai Othon Friesz et Raoul Dufy. En 1899, je fis mes débuts dans l'entreprise familiale et commençai à apprendre le métier de peintre décorateur, que j'allai perfectionner à Paris en 1900. Je suivis les cours du soir de l'école des Batignolles, entrai en 1902 à l'académie Humbert à Montmartre, puis fis, en 1903, un court séjour à l'École des beaux-arts dans l'atelier de Bonnat. Durant l'hiver 1905-1906, et sous l'influence du travail d'Henri Matisse, je commençai à peindre à la manière des fauves, en structurant par des tons vifs une thématique encore impressionniste : Paysage à l'Estaque (1906, musée de l'Annonciade, Saint-Tropez).
L'année
1907 me fus capitale. Une triple découverte allait en effet
modifier mon travail : Cézanne, dont la rétrospective
des œuvres se tenait au Salon d'automne, Picasso, que je rencontrai
au moment où celui-ci peignait les Demoiselles d'Avignon (1907,
Museum of Modern Art, New York), et les arts primitifs. Je cherchai
alors, par la géométrisation des volumes et la réduction
de ma palette à des harmonies vertes et brunes, à matérialiser
et à construire l'espace sans l'aide des artifices de la perspective
ou du clair-obscur. Ainsi, je construisis mon Grand Nu (1908, collection
particulière, Paris) à l'aide de larges hachures qui
indiquent les volumes successifs, ceux-ci étant eux-mêmes
cerclés d'un large cerne noir. J'appliquai bientôt ce
procédé constructif de géométrisation
des masses aux paysages et aux natures mortes.
De 1909 à 1914, avec Picasso, nous menâment de front
nos recherches plastiques, d'où naquit une vision nouvelle
de l'espace pictural (appelée cubisme analytique) rendant les
formes par la démultiplication de leur axe géométrique.
Dans Violon et Palette (1909, musée Guggenheim, New York),
je représentai le violon par un réseau complexe de facettes
qui émiette le volume de l'instrument : le spectateur était
ainsi confronté, en un même volume cohérent, à
tous les plans d'une vision perspective réduite à la
surface plane du tableau. Dans la partie supérieure de la toile,
un clou en trompe l'œil retenant une palette symbolise ironiquement
les deux possibles d'une peinture en recherche.
À force de complexifier le volume pour en rendre tous les états,
mes toiles, comme celles de Picasso, devinrent illisibles, confrontées
à l'abstraction qu'elles voulaient pourtant récuser.
J'introduisis alors dans ces peintures, à l'automne 1911, des
lettres et des chiffres au pochoir, destinés à en réactiver
le sens (le Portugais, 1911, Kunstmuseum, Bâle). L'année
suivante, je collai un papier imitant le bois sur Compotier et Verre
(Fruit Dish and Glass, 1912, collection particulière) : avec
le procédé du collage, l'œuvre devint la synthèse
d'éléments divers par lesquels, sans perdre la lisibilité
de l'objet, je le décrivais en dissociant la couleur et la
forme. Mobilisé en 1914, je fus gravement blessé l'année
suivante et, après une longue convalescence à Sorgues,
me remis difficilement à la peinture.
Après
la Première Guerre mondiale, je fus très influencé
par Juan Gris et Henri Laurens, avec qui je nouai une profonde amitié.
Je m'engageai désormais dans une œuvre plus traditionnelle,
néanmoins toujours empreinte des découvertes cubistes
: nombreuses natures mortes au Guéridon (1918-1919) et représentations
d'intérieurs — série des Cheminées (1920-1927)
et des Canéphores (1922-1926) —, caractérisées
par des surfaces texturées et des couleurs vives, où
les objets sont représentés en plans décomposés.
En 1929, j'abandonnai le Midi où je m'étais installé
pour Varengeville-sur-Mer, en Seine-Maritime ; s'ensuivit toute une
série d'expositions de ses œuvres, à Berlin en
1930, à New York en 1931, à Bâle en 1933 (première
grande rétrospective), à Londres en 1934 et à
Bruxelles en 1936. Ma peinture allait désormais connaître
jusqu'à la fin de ma vie une évolution stylistique homogène,
qui voit se développer les thèmes de l'Atelier et de
l'Oiseau. Les dix dernières années de ma vie furent
marquées par une santé déclinante ; si je dus
me limiter à de petites compositions, je n'en entrepris pas
moins une grande production de lithographies. À ma mort, survenue
à Paris le 31 août 1963, ma femme fit don aux musées
nationaux français d'un ensemble important de tableaux et de
sculptures. Grâce à cela, mon travail est mis en valeur,
c'est ma plus belle récompense.
Vous
pouvez retrouvez une grande partie de ma collection au Guggenheim
de New York.